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Couleurs de Chine, Canton / Guangzhou
8 mars 2015

Fangfang, "reine des Miao"

 

       Francoise-Grenot-WangSon histoire, un peu comme la plupart des contes traditionnels, nous parvient d’abord par transmission orale. Fondatrice en 1990 de Couleurs de Chine, Fangfang en reste toujours la figure emblématique et impérissable 25 ans plus tard et ce malgré sa disparition en 2008. La journée internationale de la femme du 08 mars est l’occasion de lui rendre à nouveau hommage.

Françoise Grenot Wang, sinologue passionnée, laisse en fait derrière elle un  nombre considérable de témoignages écrits à travers ses livres et son blog (http://fangfang.over-blog.com/). Et puis il y a ceux, nombreux parmi les bénévoles et les parrains, qui ont entendu parler d’elle et ceux plus rares aujourd’hui qui l’ont connue. Philippe Marescaux, Président de l’association de 2005 à 2011 fait parti de ceux-là. Grâce à lui nous remontons le fil du temps et  découvrons le chemin parcouru ainsi qu’un attachement intact aux valeurs intrinsèques de l’Association tournées prioritairement vers la scolarisation des petites filles des minorités ethniques de la Chine du Sud.

Françoise nait en 1955 et grandit fascinée par la Chine. Naturellement, la jeune femme se dirige vers l’Inalco pour étudier le mandarin. Puis  la femme donne naissance à deux filles tout en conservant sa passion pour ce pays lointain. Marquée par les mouvements féministes et le militantisme d’extrême gauche qui représentait la Chine comme un eden, elle entame à partir de 1980 une série de voyages pour accompagner les premiers groupes de touristes au pays du milieu. Le rêve fait alors place à la désillusion mais quelque chose en elle est en marche qui la ramène inexorablement à l’intérieur de ses frontières telle une exploratrice insatiable. En épousant un chinois du coté de Guilin, elle devient Françoise Grenot Wang, une française parmi les chinois avant de devenir une française en pays miao, comme s’intitule un de ses ouvrages les plus connus, et de devenir finalement elle-même Miao au fil du temps.

 

C’est un médecin d’une ONG, MSF en l’occurrence, qui l’invite la première fois à rendre visite à son équipe implantée à Danian dans la région autonome du  Guangxi. Peu de temps après, déliée de son engagement conjugal, admirative de l’action humanitaire engagée sur le terrain, Françoise vit comme une impérieuse nécessité d’y retourner : « cette région possède soudain pour moi un attrait irrésistible, d’autant plus que malgré mes nombreuses pérégrinations dans les régions des minorités ethniques de Chine du sud, cette « zone blanche » de la carte m’est encore totalement inconnue… j’ai l’impression d’y retrouver la Chine de mes rêves d’enfant ». Attirée « comme un aimant puissant » vers cette région qui fera taire sa légère inquiétude face à la perspective de s’y installer, elle s’y retrouve comme en terrain familier portée aussi par le « rêve utopique d’un monde intact, non pollué par la modernité». Elle pressent alors que son destin va se jouer dans ces montagnes aux cotés des Miao et des Dong où elle intègre l’équipe comme interprète.

Françoise sillonne alors les villages des montagnes, et s’immerge complètement dans cette vie locale marquée par une agriculture de subsistance et une culture profondément ancrée autour de traditions et d’un mode de vie ancestral comme en témoigne son précieux artisanat. La création de Couleurs de Chine sera d’ailleurs animée au début par le désir de faire connaître cette culture des minorités ethniques par le bais d’expositions, de conférences, de films et de voyages pour œuvrer à sa préservation et à la conservation du patrimoine existant. De manière concomitante, un tourisme solidaire se met en place avec l’agence Pays Miao permettant d’aller à la rencontre de ces ethnies reconnues pour leur hospitalité et leur qualité de relation extraordinaire. Il suffit d’écouter Philippe Marescaux pour avoir envie d’endurer les affres du transport et les longues heures de marche pour connaître soi-même cette aventure. C'est l’institutrice d’un village qui la sensibilise sur le sort particulier des petites filles privées de scolarité, les parents considérant l’argent investi pour l’école comme du gaspillage puisqu’une fois mariées elles partent vivre dans une autre famille. L’idée fait son chemin dans l’esprit de Fangfang au point de charger sa venue ici d'un nouveau sens. Elle écrira : «apporter de l’aide à la scolarisation des petites filles me semble une des plus belles causes à servir».

 

petites filles à l'école

Capture d’écran 2015-03-08 à 20

 

Justement la présence de cette femme qui parle le Miao, balbutie quelques mots de Dong, sera entrevue par les autorités locales comme suspecte. Elle sera accusée « d’espionnage et de propagation d’idées séparatistes auprès des minorités ethniques ». Chassée de Danian, son éloignement la conduit heureusement sur le chemin d’un homme Hong Kongais à l’aura persistante. En charge de collecter des fonds au Japon pour fournir des bourses d’études à des enfants du comté de Sanjiang, elle trouve en lui une figure suffisamment inspirante pour lui donner l’élan de développer son action en faveur du parrainage. Après de nombreux aléas administratifs faits « d’autorisations, de restrictions, d’interdictions, d’invitations, d’expulsions », elle parvient de nouveau à s’établir à Danian. C’est donc en 1998 que le tournant s’opère pour Couleurs de Chine, d’association culturelle elle se transforme en association humanitaire.

Françoise devient connue sous le nom de Fangfang. Au début elle fonctionne seule en accueillant des parrains dans la maison des minorités qu’elle occupe. Elle n’hésite pas à faire appel à quelques copains, à ses amies expatriées puis à élargir le cercle de son auditoire qui progressivement la mène  vers des sponsors et des mécènes séduits aussi par son éthique. Des adhérents de plus en plus nombreux la rejoignent proposant poiur certains leur aide bénévole. Le développement de CDC s’est fait ainsi par le bouche à oreilles et ce n’est pas moins d’une cinquantaine de projets de construction d’écoles qui seront financés au cours du temps. Philippe Marescaux le relate ainsi: « Il y a eu un effet boule de neige : elle donnait confiance et puis il y avait cette qualité et cette rigueur de suivi qui entrainaient la conviction des gens ! ». Cette action sous-tendue aussi par l’idée de favoriser l’émergence d’élites locales qui pourront ensuite se prendre en charge, donne à Fangfang l’énergie pour user de sa détermination et presque de son autorité afin de convaincre certaines jeunes filles de suivre sa voie. Proies de plus en plus convoitées de certains recruteurs pour servir de main-d’œuvre aux ateliers du Guangdong, elle les aide à se représenter leur vie. C’est bien cette force de persuasion qui a permis à plus de 11 000 enfants aujourd’hui d’être scolarisés et pour certaines de réussir un parcours universitaire. La notoriété de Fangfang s’accroit et elle est nommée citoyenne d’honneur de Liuzhou (deuxième ville du Guangxi) en 2008, reçoit plusieurs distinctions et se retrouve plusieurs fois au cœur de documentaires pour la télévision.

Son décès survient alors brusquement en 2008 dans l’incendie de sa maison en bois, un des spectres connu et redouté par la population locale.  A l’annonce de sa mort, les témoignages affluent et tous abondent pour parler d’une personnalité hors du commun, exceptionnelle. Ténacité, opiniâtreté, persévérance, détermination reviennent en boucle pour désigner le noyau de ce caractère reconnu aussi pour son courage, son énergie et son dévouement à faire vivre une authentique solidarité.

A les croire, cette femme a du soulever bien des montagnes ! A moins que ce soit la beauté des montagnes du Miao qui l’ait portée comme révélée à elle-même car nulle trace de sacrifice dans son engagement. La population locale l’a intégrée comme l’une des leurs voire un peu plus. Surnommée aussi « reine des Miao », c’est l'image avant tout d’une bienfaitrice qui demeure. Heureusement, elle a su transmettre le flambeau probablement nourri aussi par le sentiment précieux d'être utile comme en témoigne si bien Philippe Marescaux : « Il est rare de changer tellement de choses avec aussi de peu de moyens. Dans ma vie, je suis convaincu d’avoir fait au moins quelque chose d’utile ». 

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